Chers adhérents,

Dans cette newsletter un peu particulière, il nous semble nécessaire d’aborder un sujet d’actualité qui nous concerne. Nous, auteurs de jeux de société, sommes en effet directement touchés par les multiples réformes engagées par le gouvernement à propos du régime social des artistes-auteurs : nous cotisons de fait aux AGESSA, même sans y être formellement autorisés par notre statut à l’existence incertaine. La hausse de la CSG, la disparition de 80% des effectifs des AGESSA, la réforme des cotisations retraites, et bien sûr le prélèvement à la source prévu l’année prochaine, sont autant de sujets d’inquiétude, voire de colère pour nos professions.

La SAJ est en train de prendre contact avec les associations et syndicats mobilisés pour défendre le statut des artistes-auteurs. Nous espérons pouvoir contribuer, dans la mesure de nos moyens, à éviter un désastre annoncé pour nos professions déjà précaires – et nous invitons tous nos adhérents, amateurs ou professionnels, à s’informer sur ces questions et à alerter l’opinion publique sur la situation.

Michel Lalet (auteur entre autres du jeu Abalone), a écrit ce texte en réaction à l’actualité. C’est avec son aimable autorisation que nous le reproduisons ici :

COCUS ET RECOCUS !

Il y a trente ans, je me battais avec quelques autres pour que les auteurs de jeux trouvent un statut juridique et fiscal précis, qui les protègerait des incertitudes dans laquelle ce vide juridique les plongeait.
Les auteurs de jeux recevaient des rémunérations faussement appelées droits d’auteurs. Il ne s’agissait pas stricto sensu de droits d’auteurs, parce que les éditeurs de jeux n’avaient pas le statut d’éditeur (ils ont le plus souvent celui de fabricant). Ceux qui l’avaient (parce qu’ils avaient une activité “livres pour enfants” par exemple) remettaient aux auteurs de jeux des documents plus ou moins bidon qui les assimilaient aux auteurs de livres, mais sans pour autant que leur situation soit enregistrée, déclarée, établie. D’un autre côté, et parce que “auteur de jeux” ne faisait pas partie des métiers répertoriés et qu’aucune administration pas plus que les auteurs eux mêmes, ne savaient dans quelles cases ces rémunérations devaient être inscrites, le flou s’élargissait encore. À cette fin, j’avais à plusieurs reprises rencontré les administrateurs de l’Agessa, pour leur faire part de cette situation, souhaitant que cet organisme accueille les auteurs de jeux… et les cotisations sociales qu’ils ne manqueraient pas d’apporter à cet organisme. Disons pour faire court qu’à chaque fois on m’a chassé avec dédain !
Ainsi les auteurs de jeux ont-ils reçu durant des décennies un argent qui n’avait pas d’existence.
Le résultat fut que les auteurs de jeux n’avaient pas d’existence sociale, au sens où tous les citoyens de ce pays en ont une, ouvrant à une couverture sociale, aux droits à la retraite, etc…
Le résultat secondaire fut que l’administration fiscale eut une attitude discrétionnaire et relevant de l’aléatoire le plus total : étions-nous des travailleurs indépendants ? Des entrepreneurs ? Des individus soumis au Bénéfices non Commerciaux ? Il suffisait de choisir l’une ou l’autre de ces options dans nos feuilles de déclaration de revenus pour être instantanément soupçonné d’avoir délibérément cherché à frauder. Les conséquences en furent des contrôles fiscaux à répétitions, des redressements sans fin… mais surtout, rien qui permettait de croire que la déclaration suivante serait plus recevable que la précédente puisque tout cela ne reposait que sur une libre appréciation de tel ou tel fonctionnaire, de tel ou tel service de l’État.
Il y a un peu moins de dix ans, grâce en particulier à une affaire portée jusqu’au Sénat par Dominique Ehrhard, une forme de jurisprudence s’installait, permettant que les auteurs de jeux soient assimilés aux auteurs de livres. L’Agessa ou la Maison des Artistes ouvrirent donc leurs portes aux auteurs de jeux.
Depuis trois ans, les choses s’accélèrent : on parla d’abord de fusion entre Agessa et Maison des Artistes. La CSG s’introduisit dans le dispositif, et depuis cette date, augmente chaque année. L’idée nait que l’ensemble doive passer sous la coupe de l’URSAAF. Les cotisations grimpent en flèche, notamment celles ouvrant aux droits à la retraite. Un regard un peu attentif montre qu’aucun auteur tombant sous le coup de ces dispositifs et qui lâchera près de dix pour cent de son revenu à ces caisses, n’aura de droit à la retraite. Ceux-ci sont réservés aux auteurs ayant cotisé de longue date et qui sont positionnés sur des montants de revenus qui n’ont rien de commun avec ce que perçoivent 95% des cotisants concernés. Il y a là une forme d’abus que je nommerai même escroquerie si l’on avait le droit de qualifier des organismes publics d’un tel terme !
J’admets volontiers la notion de solidarité, lorsqu’elle va du fort au faible. Mais là, c’est bel et bien l’inverse qui se produit. Deux cent mille auteurs (cela ne concerne pas que les auteurs de jeux !) seront ponctionnés, sans aucun espoir de bénéficier de quelque retour que ce soit, au seul bénéfice de la petite frange qui en a le moins besoin.
La réforme fiscale en cours introduisant le prélèvement à la source va compliquer encore un peu les choses : comment cette histoire va-t-elle fonctionner ? Nous n’en savons rien, sinon que prélèvement à la source il y aura. Il sera basé sur des chiffres estimatifs, prenant en compte les revenus antérieurs, n’offrant grosso modo que deux options : soit un prélèvement d’environ 9%, soit de 13% selon la situation familiale des individus. Dans cette affaire, l’administration fiscale fait mine de croire qu’elle ignore qu’un livre, qu’un jeu ou que n’importe quelle œuvre de l’esprit peut se vendre moyennement bien durant six mois puis ne plus se vendre du tout quelques temps plus tard ! Et que les auteurs n’en sont souvent informé qu’avec retard et qu’en tout cas ils perçoivent leurs redevances avec un décalage plus grand encore. Mais voilà les auteurs – dont l’immense majorité gagne moins de dix mille euros par an – va faire des avances de trésorerie à l’État, sans que nul ne puisse savoir s’il sera en mesure de le faire… ni d’ailleurs s’il serait réellement imposable au regard des revenus globaux qu’il aura perçus sur une année fiscale complète.
Dans le jeu tout comme dans le livre, il y a des auteurs professionnels. Dans ce milieu comme dans d’autres, il y a une toute petite minorité de personne dont les revenus sont à peu près sûrs et prévisibles et une immense majorité pour lesquels l’incertitude prédomine.
Cette incertitude fait partie du jeu. Nous l’avons choisie. Nous en sommes même sans doute fiers ! Mais à l’incertitude des revenus doit correspondre la souplesse et l’équité des charges. Ce n’est pas le cas. Ces dispositifs renverront nombre d’auteurs à des situations d’amateurisme dont ils méritaient cependant de sortir.
Nous nous sommes réjouis il y a quelques années, lorsqu’enfin nous sommes sortis du maquis.
À l’arrivée, l’état de paix ne semble pas bien meilleur que l’état de guerre qui l’a précédé car au moins celui-là nous offrait des marges de manœuvre qui sont en passe de disparaître. !

Michel LALET

Pétition des auteurs de livre, à découvrir ici :
https://www.change.org/p/pas-d-auteurs-pas-de-livres

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